L’engagement financier du Canada en matière de santé mondiale est depuis longtemps centré sur le renforcement des systèmes de santé (RSS), mais le suivi des progrès en RSS pose toujours problème.
Le RSS était une priorité de l’Initiative de Muskoka sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants (SMNE), un engagement à investir 6,35 milliards de dollars sur dix ans pour améliorer la santé des femmes et des enfants dans le monde. La crise de la COVID-19 a remis le RSS au nombre des grandes priorités de santé mondiale, ravivant la discussion sur l’importance d’infrastructures et de systèmes de santé résilients.
La capacité de suivre, d’agréger et d’analyser les efforts de RSS au moyen de cadres de mesure précis est primordiale non seulement pour la réalisation d’objectifs à court terme, comme la réponse à la pandémie de COVID-19, mais aussi pour la transformation des programmes en santé mondiale et la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD). Toutefois, la définition imprécise du RSS au sein du secteur fait obstacle à un suivi robuste des progrès réalisés dans le cadre des projets.
Cette très large définition du RSS, associée aux lacunes dans le suivi des efforts déployés au niveau des projets, entoure d’ambiguïté notre travail pour renforcer les systèmes de santé et la qualité de ce travail.
Affaires mondiales Canada a utilisé le Cadre d’action de l’OMS pour le renforcement des systèmes de santé qui exige la prise en compte de six éléments constitutifs essentiels d’un système de santé :
Ces six composantes du cadre d’action sont essentielles et interreliées. Chacune doit être assez robuste pour permettre la réalisation des objectifs sanitaires suivants : amélioration des niveaux et de l’équité des soins, réponse aux besoins, protection adéquate contre les risques sociaux et financiers, et augmentation de l’efficience.
Or, même dans le cadre d’action de l’OMS, la définition du concept de RSS demeure vague et laisse place à l’interprétation. Selon certains experts, les interventions de RSS devraient être adaptées en fonction du pays, et produire des résultats multisectoriels au-delà d’une seule maladie. Elles devraient s’attaquer aux contraintes politiques et organisationnelles, renforcer les interactions entre les six éléments constitutifs ou, pour le moins, comprendre des activités centrées sur des solutions à long terme qui dépassent le cadre d’une activité ou d’un projet spécifique.
La plupart des experts conviennent qu’une intervention, pour être considérée comme une activité de RSS, doit avoir des effets bien au-delà de l’échelle organisationnelle, à l’échelle systémique. En effet, le renforcement des systèmes de santé doit améliorer l’ensemble de l’écosystème de santé d’un pays, outre des composantes spécifiques de cet écosystème, comme les hôpitaux ou autres établissements de santé.
En tant que stratégie de financement, l’Initiative de Muskoka reconnaissait le caractère essentiel du RSS, qui était un des piliers des deux cycles de programmation en SMNE. Cependant, les projets n’ont pas été définis ou suivis de manière à permettre une évaluation adéquate la part du financement total affecté à des activités de RSS, même en utilisant le cadre d’action susmentionné.
Ces lacunes en matière de suivi sont relevées par Affaires mondiales Canada dans le rapport final de l’évaluation de l’Initiative sur la SMNE. Dans le rapport, les auteurs avancent que le RSS devrait être un thème central des projets en matière de santé pris en considération lors de la conception même des projets, plutôt qu’un volet distinct de la programmation. Or, la Politique d’aide internationale féministe du Canada, tout en mentionnant brièvement un engagement à « renforcer les systèmes de santé et de données », ne situe nullement le RSS parmi ses principaux champs d’action.
En passant en revue les activités et résultats des projets dans l’Explorateur de projets du CanSFE et la Banque de projets d’Affaires mondiales Canada, nous avons découvert que de nombreux projets de l’Initiative de Muskoka semblent comprendre des interventions liées aux systèmes de santé en fonction du cadre d’action de l’OMS, en majeure partie des activités de formation du personnel de santé et, dans de nombreux projets, des composantes additionnelles de renforcement des capacités à divers niveaux (local, régional, national).
Nous avons également observé que les projets de l’Initiative de Muskoka qui étaient centrés sur le RSS ou comprenaient des éléments de RSS étaient classés sous de multiples codes sectoriels du CAD, de sorte que pour repérer et comparer ces projets, il fallait consacrer un temps considérable à l’examen et à la catégorisation des descriptions textuelles. Ce n’est pas étonnant, car dans de nombreux systèmes de codage, y compris la norme de l’IITA, les projets de RSS sont classés sous des codes sectoriels multiples qui englobent certains des éléments constitutifs de l’OMS (infrastructure des services de santé, gestion des systèmes de santé, etc.), mais il n’y a pas de code sectoriel « primaire » pour le RSS dans son ensemble. Dans les codes CAD de la norme de l’IITA, le renforcement des systèmes de santé est mentionné explicitement dans la description du code 12110 « Politique de la santé et gestion administrative ». Ce code n’est toutefois pas utilisé systématiquement pour suivre les projets d’AMC qui comprennent des activités de RSS.
Selon un autre examen récent de la recherche sur le RSS dans le monde, les sujets liés aux opérations, comme la gestion de la chaîne d’approvisionnement et les systèmes d’information sur la santé, ont reçu moins d’attention dans la littérature que des éléments des systèmes de santé comme le personnel ou le financement. Est-ce le reflet exact de la programmation ou un problème de confusion au niveau des données?
En définitive, en l’absence de codes et de définitions précises du RSS appliqués systématiquement, comment notre secteur peut-il en suivre les progrès ou en cerner les lacunes sans avoir à mener un travail de recherche colossal? Comment pouvons-nous déterminer quels sont les éléments constitutifs qui sont renforcés et ceux qui sont négligés?
Nous constatons aujourd’hui, plus que jamais, que nous avons besoin de systèmes de santé plus solides et plus résilients et qu’il est essentiel de suivre, d’agréger et d’analyser adéquatement les efforts de RSS pour en évaluer les véritables progrès.
Au Canada, les praticiens, chercheurs et collègues du gouvernement doivent se pencher sur une approche collective de la programmation et de la mesure en matière de RSS pour la prochaine phase du financement. Il faudra notamment réexaminer les cadres et normes en place qui reflètent l’évolution et le développement des technologies et des écosystèmes de santé mondiaux, ainsi que clarifier les priorités et engagements du Canada autour du renforcement des changements systémiques.
Le CanSFE et ses membres continuent d’explorer comment notre secteur peut continuer à suivre et à faire connaître ses efforts collectifs de RSS. Dans ce contexte, nous invitons les chercheurs, spécialistes des données et praticiens qui travaillent dans ce domaine à communiquer avec nous et à partager leurs ressources et idées.
Publié:
juin 23, 2020
Auteur:
Talia Glickman, CanSFE
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