Texte de Clare Szalay Timbo, directrice générale chez The SexEd Justice Project, et Andrea Rodriguez, responsable des politiques et du plaidoyer chez Action Canada pour la santé et les droits sexuels
En 1988, la Cour suprême du Canada a déclaré que la loi sur l’avortement du pays était inconstitutionnelle, affirmant qu’elle violait le droit à la sécurité de la personne garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. Depuis, l’avortement ne fait plus partie du Code criminel et il est traité et réglementé à titre de procédure médicale. Le Canada est l’un des rares pays à ne pas avoir de restrictions légales spécifiques en matière d’avortement.
La pleine décriminalisation de l’avortement est une étape cruciale vers la reconnaissance de l’avortement en tant que droit de la personne et la garantie d’un accès universel aux soins abortifs. Il est important de noter que la décriminalisation de l’avortement maintient des protections juridiques contre les préjudices subis par les personnes enceintes, tels que les avortements forcés ou d’autres types de préjudices physiques.
Dans la foulée de la Journée internationale pour le droit à l’avortement, il est important de réfléchir aux leçons apprises et aux occasions de changement dans le contexte canadien et ailleurs.
L’accès légal à l’avortement et les tendances de la criminalisation
Au Canada, où l’avortement est reconnu et réglementé comme étant un soin de santé, la légalité des services d’avortement n’est pas soumise à l’évolution du climat politique ou des attitudes sociétales. En introduisant une nouvelle loi pour protéger l’avortement, cette procédure médicale serait politisée d’une manière dont aucune autre procédure médicale n’est politisée. Alors que dans certains pays, les changements de gouvernement entraînent souvent des modifications dans les politiques d’avortement, le cadre canadien est moins sensible à de telles modifications.
Cette souplesse garantit une continuité des services, quel que soit le climat politique du moment. En reconnaissant l’avortement en tant que procédure médicale, on assure également que les décisions médicales personnelles restent du ressort des patient·e·s et de leurs prestataires de soins de santé, et qu’elles mettent le bien-être et l’autonomie de la personne au premier plan. Le cadre légal du Canada témoigne d’un profond respect de l’autonomie personnelle et de l’intégrité médicale; il garantit que l’avortement, en tant que service de santé, demeure accessible, flexible et résilient face aux influences externes.
Le paysage juridique du Canada contraste fortement avec celui de pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, où les efforts visant à criminaliser l’avortement gagnent du terrain. Nous voyons de plus en plus de nouvelles qui mettent en évidence les dangers de la criminalisation de l’avortement et ses répercussions plus larges. L’histoire d’une mère au Nebraska et celle d’une femme au Royaume-Uni montrent que la criminalisation n’affecte pas seulement les prestataires de soins de santé, mais aussi les communautés, les familles, les personnes qui soutiennent celles qui souhaitent avorter, et les personnes enceintes elles-mêmes, qui doivent s’occuper de leurs soins de santé en cette période mouvementée où les politiques changent d’un jour à l’autre.
À l’échelle mondiale, une décision telle que l’annulation de l’arrêt Row v. Wade aux États-Unis montre clairement que les politicien·ne·s peuvent rapidement détruire des décennies de travail de plaidoyer pour le droit à l’avortement et renverser des initiatives durement acquises en matière de droits de la personne, et ce, par le recours à la désinformation et à des tactiques qui sèment la discorde et la peur.
Lorsque l’on observe les efforts et les progrès considérables réalisés dans certaines parties du monde pour décriminaliser l’avortement, comme au Mexique et en Colombie, il est essentiel de comprendre exactement ce qui se cache derrière ces efforts majeurs et ces changements de paradigme aux niveaux local et national. Dans le cas du Mexique, même si l’avortement a été décriminalisé au niveau fédéral, les changements liés à la légalisation doivent tout de même avoir lieu dans chaque état du pays; une telle décision ne garantit pas automatiquement que chaque personne enceinte aura soudainement accès à des services d’avortement immédiat dans le pays. Les efforts visant à décriminaliser l’avortement au niveau des états ont également commencé il y a 15 ans. Il a fallu que des militant·e·s pour la santé et les droits sexuels et reproductifs, des organisations, des leaders politiques et des membres de la société civile se mobilisent et fassent pression afin que la Cour suprême rende finalement cette décision au début de l’année.
Au-delà de la décriminalisation : l’accessibilité et l’équité
Même si l’avortement est légal au Canada, l’accessibilité demeure l’enjeu principal. Cela est particulièrement le cas pour les personnes qui habitent dans les communautés rurales, mal desservies et systématiquement marginalisées. Ces obstacles se manifestent de différentes façons. Citons, par exemple, la rareté des services de proximité, les frais de déplacement que les gens doivent payer de leur poche, et les coûts associés à la procédure elle-même pour les personnes n’ayant pas de carte d’assurance-maladie en raison de leur statut d’immigration. Les obstacles qui subsistent nous rappellent qu’il reste encore beaucoup à faire pour que l’accès à l’avortement sans risques soit une réalité tangible pour tout le monde.
Même si le Canada est en avance en ce qui concerne la décriminalisation de l’avortement, il reste encore du chemin à faire pour garantir que toute personne puisse avoir accès facilement à un avortement sans risques. Les expériences des autres pays fournissent de précieux enseignements dans ce combat mondial pour les droits reproductifs.
Pour faire des avancées, il faut placer les communautés qui ont de la difficulté à accéder aux services et les militant·e·s au centre des discussions et les écouter, afin d’encourager le gouvernement à prendre des mesures concrètes pour surmonter les obstacles à l’accessibilité. Si l’on comprend bien l’indivisibilité des droits, on comprend que l’avancement des droits reproductifs est indissociable de réformes systémiques plus larges. Il est essentiel de s’attaquer aux problèmes interreliés tels que l’itinérance et les obstacles à l’immigration.
La participation active des communautés et des militant·e·s est essentielle à ces avancées, car elle pousse les gouvernements à prendre des mesures qui répondent à ces obstacles. Des exemples de mesures concrètes seraient de renforcer la Loi canadienne sur la santé en assurant la responsabilisation des provinces, de lutter contre la désinformation croissante et d’améliorer les infrastructures afin d’aider les prestataires à offrir des soins complets en matière d’avortement.
Des progrès ont été faits en ce sens, par exemple, le financement de fonds d’urgence pour l’avortement par l’intermédiaire de la Fédération nationale de l’avortement Canada et d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels, ainsi que des initiatives sociales, telles que la ligne d’accès d’Action Canada, qui fournit des informations sur la santé sexuelle et oriente les personnes vers les services dont elles ont besoin, y compris des services d’avortement.
L’ensemble de la population canadienne a un rôle important à jouer pour promouvoir un environnement où les gens bénéficient d’un accès équitable à des services d’avortement. Cette démarche a des échos à l’échelle internationale et nourrit un esprit de solidarité dans la défense de la santé et des droits sexuels et reproductifs de toutes les personnes concernées.
Pour en savoir davantage, veuillez communiquer avec Andrea, à [email protected], ou avec Clare, à [email protected].
Publié:
novembre 6, 2023
Auteur:
Par Clare Szalay Timbo et Andrea Rodriguez
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