Introduction
Dans l’ensemble de la communauté du développement international, la mobilisation des hommes et des garçons est considérée comme essentielle à l’avancement de l’égalité des genres. Cette perspective remonte aux programmes visant à mettre fin à la violence contre les femmes et les filles (VCFF) dans les années 1980, lesquels encourageaient les hommes et les garçons à rejeter les masculinités néfastes, ainsi qu’aux interventions sanitaires visant à ralentir la propagation du VIH/sida. Depuis, l’aide au développement international reconnaît de plus en plus la nécessité de concevoir des interventions qui mobilisent les hommes et les garçons, que ce soit pour faire progresser la santé et les droits sexuels et reproductifs, pour reconnaître et réduire la charge disproportionnée du travail de soins non rémunéré qui pèse sur les femmes, pour soutenir l’autonomisation économique des femmes ou pour renforcer l’éducation des filles. La majorité de ces interventions étaient axées sur la nécessité de démanteler les hiérarchies entre les hommes et les femmes et ont rapidement positionné les hommes et les garçons non seulement comme des partenaires du changement, mais aussi comme des bénéficiaires, ayant des avantages distincts à tirer de relations équitables entre les genres.
La participation des hommes et des garçons est reconnue pour son importance stratégique dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, 1979), le Programme d’action de Beijing (1995) et la Commission de la condition de la femme des Nations Unies (2004). Toutefois, plus récemment, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et d’importants mouvements et organismes féministes ont mis l’accent sur le fait que la responsabilité des hommes en matière d’égalité des genres ne se limite pas à la seule participation des hommes et des garçons. Cette approche comporte trois éléments principaux : (1) placer les droits des femmes et des filles au cœur de toutes les activités de mobilisation des hommes et des garçons; (2) un engagement en faveur d’un changement structurel et systémique qui démantèle les hiérarchies entre les hommes et les femmes; et (3) un dialogue permanent avec les mouvements de femmes.
Cet article présente les enseignements sur la mobilisation et la responsabilité tirés des programmes multinationaux de Plan International et de Vision mondiale dans le domaine de la santé et des droits sexuels et reproductifs. Il s’appuie également sur les enseignements tirés par des partenaires et des alliés pour souligner comment le renforcement de la responsabilité des hommes et des garçons peut protéger et promouvoir les droits fondamentaux des femmes et des filles, en particulier en ce qui concerne leur santé et leurs droits sexuels et reproductifs, et s’attaquer à la discrimination et à la violence systémiques fondées sur le genre. Enfin, il décrit les défis qui subsistent et fournit une feuille de route pour les programmes à venir.
Exemples de programmes et enseignements
Sur le plan individuel, les évaluations du programme phare Champions of Change de Plan International montrent qu’une formation rigoureuse et systématique des garçons sur les déséquilibres de pouvoir, les masculinités néfastes et les droits des filles crée un environnement favorable qui leur permet de rejeter le statu quo et de devenir des ambassadeurs de l’égalité des genres.
Une stratégie éprouvée pour obtenir la participation des hommes et des garçons consiste à former des groupes de pères, de maris ou d’hommes pour faciliter la réflexion critique et la formation sur la lutte contre les hiérarchies entre les hommes et les femmes et sur la transformation des rôles et des normes en matière de genre. Une attention particulière est accordée à l’élimination de toutes les formes de violence fondée sur le genre, à la promotion du pouvoir décisionnel des femmes et à la participation équitable des femmes dans le continuum des soins, ainsi qu’au soutien du renforcement du pouvoir économique des femmes. Ces groupes sont généralement conçus pour réunir les hommes lors de rencontres périodiques reposant sur un programme d’études contextualisé. Les séances sont animées par des mentors formés et font l’objet d’un suivi régulier.
Le Manuel de formation du programme MenCare de Vision mondiale Canada souligne qu’un objectif clé de la participation des hommes et des garçons, dans toute leur diversité, est de les aider à se soutenir mutuellement en tant qu’hommes, à adopter des expressions souples et équitables de la masculinité et de la paternité, et à se tenir mutuellement responsables de l’élimination de la violence fondée sur le genre. En plus d’amener les hommes à devenir des alliés et des défenseurs de l’égalité des genres, la formation les aide à examiner et à comprendre l’impact négatif des idées rigides sur la masculinité sur leur propre santé physique et mentale.
Les résultats du rapport de 2019 sur la situation des pères dans le monde, d’une étude qualitative des clubs de pères organisés dans le cadre du projet SHOW de Plan International ainsi que d’études qualitatives de trois projets de Vision mondiale Canada (SUSTAIN, Naître à terme et ENRICH) démontrent que les zones d’intervention où les hommes contribuent équitablement aux tâches ménagères (dont la garde des enfants) montrent des tendances positives en ce qui a trait au pouvoir décisionnel des femmes, moins de violence conjugale et intergénérationnelle à la maison, et notamment moins de discrimination à l’égard des filles, moins de soutien au mariage d’enfants et moins de taux de décrochage scolaire chez les filles.
Une autre approche – nécessaire pour soutenir le travail de mobilisation des hommes et des garçons et éviter les répercussions négatives – repose sur un dialogue et une formation systématiques des détenteurs de pouvoir dans les communautés locales, tels que les chefs traditionnels et religieux, ainsi que des personnes influentes au sein de la famille, telles que les belles-mères et les aîné·es. Les études de Vision mondiale Canada constatent que l’impact des interventions ciblées est renforcé par le soutien des leaders communautaires, religieux et gouvernementaux qui se rallient au programme et utilisent leurs plateformes et leur influence pour promouvoir les avantages des valeurs et des pratiques de MenCare pour l’ensemble de la communauté. De même, la recherche 2020 de Plan International Canada et d’Equimundo fait état de changements dans les perceptions et les actions de plusieurs chefs religieux de l’État de Sokoto, au Nigeria, visant à promouvoir la participation des hommes à la santé maternelle pour le mieux-être des femmes et des filles dans une perspective d’égalité des genres. Cette constatation est très prometteuse, car elle montre que les leaders religieux peuvent devenir de fervents défenseurs des droits de la personne, qui sont essentiels.
À l’échelle institutionnelle, le programme ENRICH MenCare de Vision mondiale Canada a veillé à ce que ses objectifs soient en adéquation avec les politiques nationales et régionales en matière d’égalité des genres, de santé reproductive, maternelle, néonatale, infantile et nutritionnelle (SRMNI/N) et de VFG, et à ce qu’ils les soutiennent directement dans les pays ciblés. Plusieurs responsables communautaires et fonctionnaires interrogé·es dans le cadre de l’évaluation de 2022 ont fait référence à la forte correspondance entre les plans et priorités du gouvernement local en matière de santé et d’égalité des genres, et les objectifs et stratégies du programme MenCare. À cette fin, le recueil de bonnes pratiques de Plan International recommande d’intégrer des messages sur la contribution des hommes et des garçons dans le matériel de formation et les outils de travail élaborés à l’intention des prestataires de services au sein d’un établissement ou d’une communauté.
Ces messages visent à encourager des masculinités saines parmi les prestataires de services afin de promouvoir des soins adaptés aux femmes et aux filles, de rejeter les pratiques traditionnelles néfastes telles que les mariages d’enfants, les mariages précoces et forcés, les mutilations génitales féminines et la violence conjugale, et de favoriser l’accompagnement des hommes tout au long du continuum de soins. Parmi les interventions figure également le renforcement de la sensibilité au genre des comités locaux de gouvernance et de protection de la santé en augmentant la participation équitable et le leadership des femmes et des filles. Il est essentiel de favoriser la collaboration entre les organisations gouvernementales et non gouvernementales pour lutter contre l’inégalité des genres. Cela permet aux femmes et aux filles de contrôler des facteurs ayant un impact sur leur santé et le bien-être de leurs enfants.
Quels sont les défis qui subsistent?
Une étude réalisée en 2022 par Equimundo a examiné les pratiques et les attitudes des hommes et des femmes en matière d’égalité des genres dans quinze pays. L’étude révèle qu’en ce qui concerne les questions de pouvoir, les rôles des hommes et des femmes au sein du ménage et la violence, les jeunes femmes ont une attitude plus favorable à l’égalité des genres que leurs aînées, tandis que les jeunes hommes ont parfois une attitude favorable à l’égalité des genres, mais pas la plupart du temps. Dans ce rapport, Equimundo met en évidence les réactions négatives observées mondialement à l’encontre des progrès réalisés par le mouvement des femmes, la montée en puissance d’hommes forts en tant que dirigeants politiques et le recul croissant des droits des femmes. L’étude souligne également que « les groupes de défense des droits des hommes et de suprématie masculine, en particulier en ligne et dans les médias sociaux fréquentés par les jeunes » influencent également ces tendances. Les résultats de l’étude remettent clairement en question l’opinion communément admise selon laquelle « le changement social n’est qu’un changement générationnel inévitable » et soulignent que « pour de nombreux jeunes hommes, il faut encore expliquer pourquoi l’égalité des genres est une urgente nécessité et n’a pas encore été atteinte, ce qui constitue un défi de taille pour les responsables politiques, les activistes et le personnel enseignant ».
Lorsque nous promouvons l’égalité des genres, il est essentiel d’éviter la simplification excessive qui consiste à considérer tous les hommes comme des agresseurs, car cela peut provoquer des réactions négatives et perpétuer des normes masculines néfastes. Au lieu de cela, il est crucial de privilégier les masculinités positives par le biais de programmes de mobilisation des hommes, comme le préconisent Fotheringham et Wells (2019). Ces programmes devraient faire appel aux leaders et aux mentors communautaires pour offrir aux adolescents des modèles constructifs, favorisant ainsi une approche plus inclusive et efficace pour atteindre l’égalité des genres. En outre, il convient de reconnaître que lorsque les hommes et les garçons s’améliorent, la situation s’améliore considérablement, et qu’un homme non violent devient un modèle et un agent de changement, car les garçons et les jeunes hommes aspirent à imiter les hommes plus âgés.
En mobilisant les hommes et les garçons, Vision mondiale Canada a appris qu’il est tout aussi important de mobiliser leur partenaire, que ce soit par le biais de séances en couple ou de séances exclusivement féminines. Cet engagement des partenaires peut améliorer la compréhension des changements que les participants à MenCare seront encouragés à apporter, aider à réduire les soupçons des épouses quant aux motivations derrière le changement de comportement de leur mari et clarifier l’impact souhaité de ces comportements promus, permettant aux partenaires de se soutenir mutuellement et de faciliter la transition vers de nouvelles pratiques domestiques équitables. En outre, il convient de sensibiliser l’ensemble du groupe familial, y compris les adolescents, afin de tirer parti de cette période critique de la vie où les attitudes et les comportements se forment et où les relations et la dynamique du pouvoir s’établissent et se consolident. Il en va de même pour les hommes et les femmes plus âgés (c’est-à-dire les grands-parents) afin de réduire la résistance et les conflits interfamiliaux. Les recherches menées par Plan International Canada sur la contribution des hommes au cours de la COVID-19 révèlent que les hommes et les garçons qui dispensent des soins soulignent l’importance d’un partage équitable du travail de soins non rémunéré. Ils estiment que cela favorise l’harmonie familiale et permet aux femmes et aux filles de mener des activités lucratives et éducatives.
Feuille de route pour l’avenir
Tenez compte des éléments suivants pour lutter efficacement contre la recrudescence des masculinités néfastes et susciter un changement positif durable :
Publié:
mars 7, 2024
Auteur:
Merydth Holte-McKenzie, World Vision Canada and Saifullah Chaudhry, Development Impact Solutions
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