La contribution du CanSFE au dialogue sur la politique étrangère féministe du Canada

Le Partenariat canadien pour la santé des femmes et des enfants (CanSFE) est heureux de contribuer, par le présent mémoire, au Dialogue sur la politique étrangère féministe d’Affaires mondiales Canada.

Considérations générales

« Canada en tête » : dans un monde où persistent les inégalités, le Canada doit continuer à exercer son leadership en matière de santé et droits des femmes et des enfants. 

L’engagement audacieux du Canada envers l’égalité des genres, la santé et les droits s’inscrit dans un contexte où le monde compose avec des politiques régressives à l’endroit des femmes et des filles et avec la déstabilisation causée par les changements climatiques et la pandémie de COVID-19. La prospérité, la paix et la sécurité dans le monde sont inextricablement liées à la réalisation du droit à la santé pour chaque être humain. Au Canada, comme ailleurs dans le monde, des investissements dans le renforcement des systèmes de santé s’imposent de toute urgence afin de soutenir les économies locales et nationales. Il faut placer les droits en matière de santé au cœur de la politique étrangère féministe pour en assurer le succès. 

Composant 70 % du personnel de la santé dans le monde et 82 % au Canada, les femmes contribuent largement à l’édification et au maintien de systèmes de santé résilients. Le Canada doit continuer à promouvoir la couverture sanitaire universelle (CSU), et sa nécessaire application aux services liés à la santé et aux droits sexuels et reproductifs, afin d’édifier des systèmes de santé robustes, de sauver des vies et d’assurer la stabilité économique mondiale. La pandémie de COVID-19 a montré à la fois que le travail de prestation des soins est essentiel pour le bon fonctionnement des systèmes de santé et que la santé mondiale est l’un des éléments fondamentaux d’une politique étrangère. Pour le meilleur ou pour le pire, de nombreux dirigeants mondiaux ont intégré le droit des femmes à la santé à leur politique étrangère, notamment le président Donald Trump dans un décret rétablissant la Mexico City Policy dès le début de son mandat. 

Le leadership du Canada en santé mondiale met l’accent sur les données probantes et les partenariats, et s’appuie notamment sur les efforts et l’expertise collectifs des gouvernements, des organisations de la société civile, des établissements de recherche et du secteur médical. Le CanSFE, qui réunit plus de 100 membres – organisations non gouvernementales, établissements d’enseignement supérieur et associations de professionnels de la santé –, catalyse le pouvoir du partenariat pour améliorer la santé des femmes et des enfants dans plus de 1 000 collectivités dans le monde. 

Dans le cadre de sa politique étrangère pour la prochaine décennie et au-delà, le Canada doit placer la santé au rang des éléments fondamentaux qui en constituent l’assise afin de maximiser l’impact de l’ensemble de ses efforts internationaux. À cet effet, le CanSFE adresse les recommandations suivantes au gouvernement du Canada :

Recommandation 1 : Réaliser la totalité de ses engagements financiers du 4 juin 2019, à savoir augmenter de 1,4 milliard de dollars par année, de 2023 à 2030, son investissement pour promouvoir la santé et les droits des femmes et des filles dans le monde. Dans le cadre de cet engagement, il est essentiel que le gouvernement adopte une approche politique intégrée, non compartimentée, dans ses programmes en matière de santé mondiale pour les femmes et les enfants comprenant un éventail exhaustif et multisectoriel d’interventions tout au long du cycle de vie et faisant appel à l’expertise canadienne en santé, droits et nutrition des nouveau-nés, des enfants, des adolescents et des femmes. 

Seulement 32 % des pays dans le monde ont des lois qui protègent toutes les dimensions des droits sexuels et reproductifs; or, ces droits sont constamment menacés. Les effets de la COVID-19 varient en fonction des populations, exacerbant les inégalités de genre et sociales pour les femmes, les filles, les adolescents, les membres de la communauté LGBTQI2S+, les personnes handicapées et d’autres groupes marginalisés. Faute d’accès à des services en matière de santé et droits sexuels et reproductifs, le bilan des décès s’accroîtra de 253 500 chez les enfants et de 12 200 chez les femmes au cours des six prochains mois, et ce, selon les prévisions les plus modérées. Par ailleurs, 117 millions d’enfants risquent de ne pas être vaccinés en raison de la COVID-19.

Les membres du personnel de la santé sont débordés et, dans de nombreux cas, incapables de fournir des services aux patients en raison des restrictions liées aux déplacements, de leur redéploiement vers la réponse à la COVID-19 ou parce qu’ils sont eux-mêmes infectés par le virus. Au Ghana, par exemple, le nombre de travailleuses et travailleurs de la santé infectés dans l’exercice de leurs fonctions est passé de 779 au début de juillet à plus de 2 000 à la fin du même mois. Cette augmentation est attribuable au manque d’équipement de protection individuelle ou à de l’équipement inadéquat, à la lenteur des tests et à la capacité d’accueil limitée des établissements de santé.  

Des femmes en santé sont la clé de voûte d’une société en santé. Or, la santé des femmes et des filles n’est innée dans aucune société. Comme l’a observé la Banque mondiale, il faut délibérément établir des politiques et des stratégies qui favorisent la santé et le bien-être des femmes tout au long du cycle de vie afin que les femmes et les filles puissent réaliser leur plein potentiel. 

Recommandation 2 : Reconnaître que le travail de prestation de soins non rémunéré est un déterminant fondamental de la santé en investissant dans l’économie des soins. Les investissements consentis devront prendre acte du travail non rémunéré des femmes, permettre un rééquilibre des tâches et réduire le fardeau des femmes à ce titre, tout en faisant valoir les droits des prestataires de soins dans une perspective d’égalité des genres et d’autonomisation de toutes les femmes.

La prestation de soins non rémunérée est assurée de manière disproportionnée par les femmes qui y consacrent 3,2 % plus de temps que les hommes et exécutent 76,2 % de l’ensemble des tâches à ce titre. Les femmes constituent la majorité des prestataires de soins de santé rémunérés et non rémunérés dans le monde, ce qui représente plus de 5 % du PIB mondial. Travaillant en première ligne comme la plupart des membres du personnel de la santé communautaire et médical, les femmes contribuent à la santé et au secteur de la santé au Canada dans une proportion qui, d’après les estimations de la Commission Lancet sur les femmes et la santé, se situait entre 6,2 % et 7,2 % du produit intérieur brut en 2019. De plus, selon un rapport de Thomas N. Chirikos publié dans The Review of Economics and Statistics, le bilan de santé est l’un des principaux déterminants du nombre d’heures de travail annuel pour les personnes en emploi. Lors de crises sanitaires majeures, comme celle de la COVID-19, les systèmes de santé seraient vite débordés sans la contribution des prestataires de soins non rémunérés. Un nombre disproportionné de femmes sont restées à la maison pour s’occuper des enfants ou prendre soin de membres de la famille malades, réduisant ainsi la propagation du virus et le fardeau sur les systèmes de santé. En conséquence, elles ont perdu leur place sur le marché du travail. 

La faiblesse du système de santé mine le développement économique national. Avec la mondialisation de la main d’œuvre au fil des dernières décennies, l’intégration du renforcement des systèmes de santé parmi les objectifs de la politique étrangère contribue sensiblement à améliorer les relations commerciales, à renforcer les systèmes de santé et à stimuler l’économie mondiale. Pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici 2030, il faut, dans la lutte à court et à long terme contre la pandémie, recourir à une approche féministe, fondée sur les droits, intersectionnelle et intégrée. Le directeur général de l’OMS, Dr Tedros Ghebreyesus, reconnaît que les sages-femmes et le personnel infirmier sont la colonne vertébrale de tous les systèmes de santé et appelle tous les pays à investir dans les effectifs de sages-femmes et infirmiers dans le cadre de leur engagement en faveur de la santé pour tous. 

Recommandation 3 : Reconnaître que la santé fait partie des éléments fondamentaux d’une politique étrangère féministe, en ce qu’elle contribue à la stabilité et à la sécurité dans le monde. En outre, en favorisant une participation importante et efficace des femmes aux processus de leadership et de prise de décisions, le gouvernement du Canada peut soutenir l’amélioration des résultats en matière de santé mondiale et de paix et sécurité. 

À l’heure actuelle, parmi les 193 pays du monde, 21 sont dirigés par une femme. Depuis le début de la pandémie, les pays dirigés par une femme comptent six fois moins de décès causés par la COVID-19 que les pays dirigés par un homme. Investir dans le leadership des femmes, c’est investir dans un monde plus égalitaire, et des sociétés plus en santé, en paix et prospères. En outre, des études ont démontré que lorsque des femmes participent à leur élaboration, les accords de paix sont, dans une proportion de 35 %, plus susceptibles de durer au moins 15 ans. Au même titre que la paix est une condition préalable à l’égalité en matière de santé et à la sécurité des personnes, la santé est une condition préalable à la paix. Les États et régions fragiles et frappés par des conflits qui ne sont pas dotés de systèmes de santé fiables et solides ont souvent de la difficulté à établir une paix durable, tandis que l’absence de soins de santé adéquats s’est révélée un facteur propice à la montée de l’extrémisme violent et à la récurrence de conflits. Afin de réaliser une relance juste, il faut que la participation et la protection de toutes les femmes soient au coeur de l’ensemble des efforts de réponse.

Conclusion

Les enjeux de santé publique, de la pandémie de VIH/sida aux maladies infectieuses ré-émergentes, comme le SRAS et la COVID-19, ne connaissent pas de frontières dans un monde où les pays sont de plus en plus interconnectés et interdépendants. Pendant que les travailleuses et travailleurs de la santé partout dans le monde continuent de risquer leur vie pour contenir la COVID-19, nous exhortons le Canada à exercer son leadership et à protéger la population canadienne en protégeant les populations les plus vulnérables dans le monde – réalisant son engagement envers des soins de santé universels, augmentant, comme il l’a promis, ses investissements dans la santé et les droits des femmes et des filles partout dans le monde, reconnaissant le travail de prestation de soins comme un déterminant clé de la santé et de la prospérité, et faisant la promotion d’une participation significative des femmes aux processus de leadership et de prise de décisions dans le monde. Nous traversons tous ensemble la situation actuelle : les Canadiennes et Canadiens ne seront véritablement en sécurité et en santé que lorsque tout le monde sur la planète le sera.

Publié:

décembre 2, 2020


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