Exploiter les données pour prévenir et combattre la violence fondée sur le genre 

Cet article a été coécrit par Noëlle Rancourt, de Plan International, Yaz Sezgin, de Right To Play, et Mahider Yeshaw, d’ADRA Canada, à la suite d’un webinaire du CanSFE animé en septembre dernier par Saifullah Chaudhry, de Development Impact Solutions, Jakub Nemec, de Salanga, et LynnMarie Sardinha, de l’OMS.

Dans le monde, 1 femme sur 3 est victime de violence physique et/ou sexuelle au cours de sa vie, mais ce chiffre ne dit pas tout. Certaines populations, comme les femmes âgées, les adolescentes ainsi que les femmes et les filles en situation de handicap sont sous-représentées dans la plupart des recherches dont nous disposons. D’après la base de données d’ONU Femmes, bien que 188 pays rapportent des données sur différentes formes de violence fondée sur le genre, seuls 18 disposent de statistiques spécifiques concernant les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés. Certaines régions géographiques manquent également de données nationales sur la VFG, ce qui limite notre capacité à en évaluer la véritable prévalence. 

Pourtant, les données jouent un rôle essentiel dans la conception de stratégies efficaces pour prévenir et combattre la VFG. Avec les bonnes données, nous pouvons promouvoir la prévention, renforcer les systèmes et mieux répondre aux besoins uniques de chaque survivante. 

Dans le cadre des 16 jours d’activisme contre la VFG, qui commencent par la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, il est essentiel de mieux comprendre les lacunes et les défis liés à la collecte et à l’utilisation des données sur la FVG, en particulier celles sur sa prévalence. Cet article propose des réflexions essentielles sur ces enjeux et réitère l’importance de recueillir des données tout en respectant l’impératif éthique de « ne pas nuire ». Il met également en lumière plusieurs pratiques prometteuses pour exploiter ces données afin de soutenir les survivantes et de renforcer les initiatives de prévention et d’intervention en matière de VFG. 

Que sont les données sur la VFG et à quoi servent-elles? 

Les données sur la VFG jouent un rôle essentiel dans l’élaboration d’interventions, de politiques et de mécanismes de soutien efficaces. Ces données permettent de mieux comprendre l’étendue et la nature de la VFG, tout en révélant des tendances, des constantes et des causes sous-jacentes. Elles constituent ainsi un outil précieux pour orienter les initiatives de prévention et d’intervention ciblées. Plusieurs types de données sont utilisés pour y parvenir, dont des données quantitatives et qualitatives. Chaque type de données sert un objectif unique, mais toutes contribuent à nuancer notre compréhension de la VFG et de son impact sur les individus et les communautés.

Les données de prévalence représentent le taux et la fréquence de la VFG au sein d’une population donnée. Seules des enquêtes auprès de la population permettent d’obtenir des données fiables sur l’ampleur de la VFG. Cependant, la collecte de données primaires sur la VFG, en particulier celles qui comportent des questions sur la violence subie, présente des risques importants pour les personnes interrogées, dont la détresse, la retraumatisation, la stigmatisation, les conflits familiaux, les réactions négatives de la communauté, les conséquences juridiques et un malaise généralisé. 

Selon les principes de l’OMS, la documentation des violences sexuelles doit présenter plus d’avantages que de risques pour les personnes interrogées et leurs communautés. Par ailleurs, des soins de base doivent être disponibles localement avant d’entreprendre toute activité susceptible d’entraîner des révélations sur la VFG. Le GBV AoR, qui assure la coordination mondiale en matière de VFG dans les contextes humanitaires et dans les zones exposées aux catastrophes naturelles cycliques, a longtemps plaidé contre la collecte de données de prévalence de la VFG dans la plupart des contextes humanitaires. Les risques pour les participantes doivent toujours faire l’objet d’une analyse et d’un suivi approfondis, et les mesures visant à les atténuer doivent être dotées de ressources adéquates. Il est impératif de protéger la vie privée, la sécurité et la dignité des survivantes.

En revanche, les données d’incidence ne reflètent que les incidents de VFG signalés par les survivantes et pour lesquels elles ont pu accéder à des prestataires de services, ce qui ne représente qu’une fraction de l’ensemble des cas. Ces données sont produites par ces prestataires de services et peuvent parfois être obtenues auprès d’eux.

D’autres données ne portant pas sur la prévalence sont essentielles pour renforcer la prévention de la VFG et la prise en charge des survivantes, par exemple : 

  • Des données qualitatives approfondies pour évaluer l’existence et l’efficacité des cadres juridiques, des politiques, des institutions et des budgets liés à la VFG. 
  • La prévalence des attitudes tolérant la VFG et la discipline violente envers les enfants, ainsi que celle des attitudes favorables à l’égalité des genres. 
  • Des indicateurs de l’efficacité des mécanismes de signalement et de prise en charge, comme le nombre de cas ayant accès à des services ou le nombre de travailleuses et travailleurs sociaux formés dans une population donnée. 
  • La compréhension des risques et des comportements liés à la protection des survivantes, la connaissance des mécanismes de signalement et de leur utilisation, ainsi que la présence de facteurs de protection, tels que des réseaux sociaux de confiance, des habiletés fondamentales et la capacité d’action. 
  • Les données permettant d’évaluer les risques de VFG et de suivre les mesures d’atténuation sont également importantes pour s’assurer que les programmes sont mis en œuvre de façon sécuritaire. 

Atténuer les défis et exploiter les données pour renforcer les programmes de prévention et d’intervention en matière de VFG

En septembre 2024, le CanSFE a organisé une série d’événements explorant comment les données peuvent favoriser les progrès en matière de santé et de droits reproductifs et sexuels (SDSR) à l’échelle mondiale. L’une des séances a abordé comment les gouvernements et les organisations de la société civile (OSC) peuvent exploiter les données pour améliorer la prévention et l’intervention en matière de VFG. Lors de l’événement et des conversations subséquentes, les praticiennes et praticiens ont discuté d’autres défis majeurs liés aux données sur la VFG et des moyens de tirer parti de ces données pour mettre en place des programmes efficaces, tout en évitant de nuire et en atténuant les risques :

  • Les organisations qui ne sont pas des prestataires de services devraient prioriser la protection des personnes plutôt que la démonstration de leur impact et privilégier des données ne portant pas sur la prévalence. 
  • Les organisations et les groupes de défense des droits des femmes locaux devraient être en mesure de recueillir leurs propres données. Cette approche localisée favorise la flexibilité et la confiance et permet d’obtenir des résultats précis et pertinents. Le partage des données recueillies avec les communautés par le biais de boucles de rétroaction leur permet également d’utiliser les informations pour transformer les choses à leur manière. 
  • La pression de recueillir rapidement des données sur la prévalence de la VFG, souvent imposée par les délais des bailleurs de fonds, peut entraîner de sérieux risques pour les participantes et compromettre la qualité des données. Mener une analyse comparative entre les sexes dès le début d’un programme, en tenant compte des expériences des groupes vulnérables, et intégrer des consultations tout au long du cycle du programme, permet d’assurer un retour d’information continu sans compromettre la sécurité des survivantes. Cela permet également d’adapter les interventions selon l’évolution des contextes. 
  • Les praticiennes et les praticiens devraient soutenir les organisations de défense des droits des femmes en les aidant à promouvoir des politiques plus égalitaires, à établir des priorités pour prévenir et gérer la VFG, et à préparer des plans d’action adaptés.
  • L’absence de données fiables sur la prévalence de la VFG ne doit jamais être interprétée comme une absence de VFG. À l’échelle locale, les responsables communautaires peuvent hésiter à signaler la VFG dans leur communauté ou minimiser les signalements de violence, par crainte de stigmatisation. Ils pourraient également considérer la VFG comme étant une norme acceptable. L’incohérence des définitions de la VSFG d’un pays et d’une culture à l’autre ainsi que les faibles taux de signalement peuvent également nuire à la fiabilité des données. Quoi qu’il en soit, les services d’intervention en matière de VFG devraient toujours être priorisés dans les situations d’urgence et de préparation.

Pour combler le manque de données de prévalence inclusives, l’intervention de spécialistes à l’échelle nationale et régionale est essentielle. Parallèlement, les prestataires de services non spécialisés dans la VFG devraient se concentrer sur la collecte de données qualitatives et quantitatives ne portant pas sur la prévalence, en accordant la priorité à la protection des survivantes. Il est nécessaire d’investir davantage dans des méthodes de collecte de données probantes dirigées par des organisations locales de défense des droits des femmes. Les bailleurs de fonds doivent s’engager à soutenir la collecte de données ne portant pas sur la prévalence tout au long des cycles de programmes afin de renforcer les systèmes de prévention de la VFG et les services offerts aux survivantes et aux groupes vulnérables.

Dans les prochaines semaines, nous vous présenterons une série d’études de cas de partenaires du CanSFE démontrant comment l’utilisation judicieuse des données contribue à améliorer les politiques et les programmes de prévention et d’intervention en matière de VFG dans différents contextes.

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Publié:

novembre 25, 2024


Auteur:

Noëlle Rancourt, Yaz Sezgin and Mahider Yeshaw


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