Séance de la conférence du CanSFE sur les contextes fragiles

S. Johnson – Nov. 2016

Avant de passer aux notes que j’ai préparées, je voudrais souligner deux points au sujet des discussions que nous avons eues dans les deux derniers jours.

Premièrement, j’aimerais citer notre premier ministre actuel. Dans la vidéo sur la polio que nous avons vue hier, il a dit : « la pauvreté est sexiste ». Je suis tout à fait d’accord avec lui et j’ajouterais que la pauvreté et le sexisme sont tous deux des concepts politiques autant que des concepts économiques, sociaux et culturels. Ils entrent en jeu dans chaque communauté et dans chaque contexte, et nous devons en être conscients et en tenir compte lorsque nous réfléchissons et planifions des mesures efficaces pour répondre aux besoins et aux intérêts des femmes et des enfants.

Deuxièmement, puisque je parlerai plus amplement des contextes fragiles et que plusieurs personnes l’ont mentionné, particulièrement Rachel de MSF dans l’allocution qu’elle vient de faire et avec laquelle je suis entièrement d’accord, j’aimerais que nous nous rappelions que même les guerres ont des limites.

Les pires souffrances peuvent engendrer d’importants gains. Après la Seconde Guerre mondiale, la gouvernance mondiale a conclu divers accords, améliorant ainsi les Conventions de Genève originales. Des règles relatives à la conduite des hostilités ont été établies. Des règles qui s’appliquent aux gouvernements et à tout autre transporteur d’armes et qui établissent que même en situation de guerre, les civils ont des droits.

Mais aujourd’hui, nous sommes à une période sombre et quelques-uns de ces mêmes gouvernements – et autres parties aux conflits – semblent avoir conclu qu’ils peuvent violer ces règles du droit de la guerre en toute impunité. Ceci comprend diverses puissances importantes, dont nos voisins du Sud.

En ce qui concerne la réponse aux besoins des femmes et des enfants en matière de santé, cet enjeu est extrêmement important. Nous n’atteindrons pas les ODD ni la stratégie CFCE si les règles fondamentales du DIH ne sont pas respectées.

J’en viens maintenant aux notes que j’ai préparées.

  1. Qu’est-ce qu’un contexte fragile et pourquoi est-ce un sujet important?
  • Les contextes fragiles se définissent comme étant là où les gens vivent dans des conditions précaires, souvent à cause d’une véritable guerre ou de divers degrés de violence sociale. Ils peuvent inclure des gens pris dans des catastrophes soudaines. L’important est de comprendre que ces contextes sont différents.
  • Certaines personnes pourraient être dans des zones contrôlées et desservies par le gouvernement, mais plusieurs ne le sont pas.
  • Les services sociaux normaux ne sont pas accessibles pour diverses raisons, notamment parce que les installations de santé gouvernementales n’existent pas, manquent de personnel ou de ressources, ou ont subi des attaques (j’y reviendrai plus tard).
  • Ce n’est pas un enjeu mineur.
  • Aujourd’hui, la Croix-Rouge s’est engagée à offrir des services humanitaires aux civils à risque, incluant évidemment aux femmes et aux enfants, dans plus de 90 pays à l’échelle mondiale. Pour le Comité international de la Croix-Rouge, environ deux tiers du budget total (de quelque deux milliards de dollars canadiens) sont alloués aux contextes fragiles. Les dix principales opérations se font dans des pays en situation de conflit prolongé, où la guerre dure depuis une moyenne de 36 ans.
  • Un très grand nombre de femmes et d’enfants vivent dans ces régions à risque :
    • Environ 1,5 milliard de personnes vivent actuellement dans des pays touchés par le conflit, la fragilité ou la violence omniprésente.
    • Les femmes et les enfants représentent environ 75 % des personnes déplacées par le conflit et environ 20 % de ces personnes déplacées sont des femmes en âge de procréer. Parmi ces femmes, une sur cinq sera enceinte.[1]
    • 60 % des décès maternels prévisibles, 53 % des décès chez les enfants de moins de cinq ans et 45 % des décès néonatals surviennent dans des contextes fragiles de conflit, de déplacement et de catastrophe naturelle.[2]
  • Nous n’atteindrons pas les ODD ni ne réaliserons la stratégie CFCE si nous ne réussissons pas à atteindre les femmes et les enfants au sein de ces communautés.

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  1. Pourquoi est-ce difficile d’atteindre les femmes et les enfants dans ces contextes?
  • L’accès – atteindre ces communautés est loin d’être simple. Lorsque je parle d’accès, je parle de plusieurs aspects :
    • La sécurité – les communautés peuvent être isolées par les lignes de conflit, assiégées par les forces armées ou simplement sous le contrôle de forces autres que le gouvernement.
    • Les négociations – l’accès et la sécurité impliquent le besoin de dialoguer et de négocier avec TOUTES les parties au conflit. Lorsque je dis TOUTES les parties, rappelons-nous que dans les guerres actuelles, il y a rarement uniquement deux parties opposées et bien organisées en conflit. Il s’agit plutôt d’un creuset d’acteurs, d’alliances et d’intérêts en constante évolution. Nous avons besoin d’un ensemble de compétences et d’un réseau bien développé pour obtenir la permission d’être où nous devons être et de faire ce que nous devons faire. Et si vous n’avez pas la capacité nécessaire, vous devez y repenser avant de vous aventurer dans ces endroits, car vous risquez de mettre votre vie et celle des autres en danger.
    • La logistique pour atteindre ces communautés – il faut de nombreuses ressources pour atteindre ces communautés; c’est plus dispendieux et plus difficile.
    • Les ressources – les ressources humaines et matérielles sont rares.
  • Pour empirer les choses, comme je l’ai déjà noté, nous régressons dans la conduite des hostilités :
    • Prendre les civils pour cible – ainsi que les établissements de santé – se fait maintenant délibérément : il s’agit d’une pratique intentionnelle, mortelle et omniprésente. Dans les trois dernières années, 2 400 attaques ciblées ont été dirigées contre des patients et des travailleurs de la santé, des transports et des centres de la santé dans onze pays. La perte de ces établissements de santé et de leur personnel affecte la santé de centaines de milliers de personnes et menace d’inverser le progrès réalisé dans la diminution de la mortalité infantile.[3]
    • En Syrie seulement, plus de 700 travailleurs de la santé ont été tués dans le conflit, décimant davantage cette infrastructure sanitaire ayant subi plus de 300 attaques sur ses établissements de santé.

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  1. Comment cela affecte-t-il l’élaboration des politiques efficaces qui peuvent éclairer la prise de mesures efficaces?

Je répondrai à cette question selon deux échelons – pour les organisations comme les nôtres qui sont réunies ici aujourd’hui et pour les gouvernements nationaux, particulièrement pour le gouvernement canadien.

  • Pour les organisations humanitaires et de développement, et pour les universitaires qui veulent s’attaquer aux enjeux touchant à la santé des femmes et des enfants =
    • Premièrement, je nous demande TOUS de nous rappeler que nous devons préserver la neutralité et l’indépendance des acteurs de l’aide humanitaire et nous assurer que l’affiliation, perçue ou réelle, avec des entités politiques ou religieuses ne mette pas en danger les travailleurs de la santé ou les personnes qu’ils servent.
    • Les organisations humanitaires doivent avoir une vision à long terme – Elles doivent comprendre que les crises (et la réponse de l’aide humanitaire) se déroulent dans un contexte, dans une toile complexe de relations sociales, économiques, politiques et culturelles. Elles doivent mieux contextualiser leurs actions et comprendre leur lien avec le développement.
    • Les organisations humanitaires devraient accroître leur capacité à travailler sur deux volets, c’est-à-dire maintenir ou entretenir les progrès en matière de développement tout en offrant plus d’aide humanitaire.
    • Les organismes de développement devraient rester prudents lorsque vient le temps de se placer au cœur des circonstances les plus instables et difficiles. Ils devraient prendre le temps de comprendre ce qui est nécessaire pour offrir une aide neutre, impartiale et humanitaire et s’outiller pour faire du bon travail.
    • Essentiellement, mon message aux deux organisations ainsi qu’à la communauté universitaire serait : ouvrez les yeux, comprenez où vous êtes, faites attention aux hypothèses que vous formulez. Si vous n’avez pas le temps de le faire, et de vous outiller pour être des acteurs responsables dans ces contextes, alors veuillez quitter les lieux.
  • Pour les gouvernements et pour le Canada en particulier =
    • Voici un rappel : Tous les civils, incluant les femmes, les adolescents et les enfants, ont le droit de ne pas être pris pour cible durant les conflits armés, et ont également le droit affirmatif et reconnu internationalement d’être protégés et d’avoir un accès garanti à l’aide humanitaire et aux établissements de santé. Cela doit être réaffirmé et défendu sur une base continuelle.
    • Sur une note positive : en mai 2016, le gouvernement du Canada a coparrainé la Résolution 2286 de l’ONU, qui réitère l’obligation mondiale de protéger les civils et qui condamne les attaques contre les établissements de santé et leur personnel lors de conflits. Le Canada doit réitérer cet engagement à travers son action nationale et mondiale, dans ses activités de maintien de la paix, de diplomatie et en tant que partie – peu importe dans quelle mesure – aux conflits armés.
    • Nous devons continuer de faire appel à tous les acteurs armés pour qu’ils respectent le droit humanitaire international et mettent fin à l’impunité des violations des DIH.
    • Noter les campagnes NOT A TARGET et Les soins de santé en danger
    • Deuxièmement, au sujet du Mécanisme de financement mondial : nous saluons l’engagement du gouvernement du Canada au MFM, et particulièrement le fait que le Canada reconnaisse que le financement international ne peut pas passer uniquement par les gouvernements nationaux. Nous disons depuis longtemps que si nous voulons atteindre chaque femme, chaque enfant, partout, nous devons trouver d’autres moyens que les systèmes gouvernementaux pour appuyer les gens.
    • Souvenons-nous de ce que j’ai mentionné au début de ma présentation. La pauvreté est sexiste et politique. Et dans de nombreuses régions du monde, les gouvernements n’ont peut-être même pas intérêt à offrir des services de santé à toute la population. La discrimination est bien réelle.
    • Pour atteindre tout le monde, nous avons besoin d’un mécanisme de financement complémentaire et d’acteurs de la société civile qui peuvent rejoindre les communautés à risque et faire leur travail.
    • J’ai hâte de voir comment le gouvernement canadien va donner suite à cet engagement et travailler avec les autres gouvernements pour créer un mécanisme de financement pour les acteurs de l’aide humanitaire – à l’échelle mondiale et locale – qui PEUVENT atteindre les femmes et les enfants et réaliser la stratégie CFCE.

 

Merci.

 


Points additionnels :

Impact spécifique du conflit sur les femmes et les filles :

La santé des femmes, des adolescentes et des enfants est menacée de différentes manières que celle des hommes, particulièrement dans des contextes aux prises avec des conflits. Le manque d’accès aux services de santé sexuels et génésiques, incluant les soins prénatals et les soins obstétriques d’urgence, peut avoir des conséquences fatales.

La violence sexuelle et sexiste et d’autres formes de violence contre les femmes et les enfants augmentent lors des catastrophes et des conflits, nécessitant des services médicaux et psychosociaux spécialisés.

Nous encourageons les femmes à accoucher dans des établissements – où au moins de recourir à la présence d’une sage-femme compétente durant l’accouchement. Voilà la meilleure pratique; une norme en matière de soins à l’échelle mondiale que nous connaissons tous. Même dans les circonstances les plus désespérées, une femme devrait sentir qu’elle et son nouveau-né se porteront mieux dans un centre de la santé que sans la présence de personnes compétentes pendant le travail et l’accouchement. Dans un conflit, nous devrions au moins être en mesure de nous sentir un peu plus en sécurité, protégés par l’interdiction générale de cibler les établissements de santé et les travailleurs de la santé pendant un conflit.

Nous devons reconnaître et répondre aux besoins spécifiques des femmes, des adolescents et des enfants dans des contextes de conflit et penser et agir de façon novatrice et créative pour sauver des vies dans des milieux humanitaires qui sont protégés et dotés d’installations vitales.

 

Changer la nature du conflit et des tendances :

Il y a de plus en plus d’acteurs et autres parties prenantes dans le domaine de l’aide humanitaire.

Dans le domaine de l’aide humanitaire, une pléthore d’acteurs et autres parties prenantes participe à la réponse aux crises : des agences et ONG humanitaires, des organisations confessionnelles, des conseils d’urgence nationaux et des forces armées. Par conséquent, le secteur de l’aide humanitaire est souvent mal perçu et les rôles et les intentions des parties prenantes sont souvent flous. Cela pourrait potentiellement mettre en danger tant les acteurs de l’aide humanitaire que les personnes qu’ils servent.

Le monde assiste à un nombre croissant de conflits ayant des répercussions régionales. L’impact de ces conflits dépasse généralement les capacités des gouvernements voisins à faire face à la situation, menaçant de déstabiliser leur paix souvent fragile. Le Liban et la Turquie en sont de bons exemples.

L’augmentation des rangs des groupes extrémistes armés. De plus en plus de jeunes pauvres et désespérés ont été contraints ou persuadés de se joindre aux groupes extrémistes armés tels que Boko Haram, l’EIIL, l’AQMI et d’autres. Ce sont les civils qui paient le plus lourd tribut à la violence sectaire.

De nouvelles formes de guerres et d’armes sont utilisées au mépris total du DIH. Les conséquences sont lourdes pour les civils : des enlèvements de masse de filles et de femmes, des attaques délibérées sur les établissements de santé, des bombes en grappes, des armes chimiques et d’autres armes sont utilisées et ne sont plus limitées aux cibles militaires. Le Nigeria, la Syrie et le Yémen, entre autres pays, ont été victimes de ces tactiques et tendances.

 

[1] Reproductive health during conflict: The Obstetrician and Gynecologist : Volume 16, numéro 3, juillet 2014. Pages 153–160 http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/tog.12114/full

[2] Zied, S., Bustreo, F., Barakat, M., Maurer, P., and Gilmore, K. (2015). For every women, every child, everywhere: a universal agenda for the health of women, children and adolescents. The Lancet, mai 2015, Col. 385, No 9981. Extrait de : http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(15)60766-8/fulltext

[3] Peter Maurer, tribune de l’ONU sur la Résolution 2286 (2016)

Publié:

novembre 22, 2016


Auteur:

Susan Johnson


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