Chères / Chers membres,
À l’approche de mon départ du CanSFE, je suis habitée par une profonde gratitude. Ma prof de spinning peut en témoigner : elle m’a vue pleurer d’émotion en plein cours, quand la chanson I’ve Had the Time of My Life s’est mise à jouer! Ces neuf dernières années ont été synonymes de croissance, d’élan et de ces petits pas qui nous ont permis, ensemble, d’avancer vers le changement que nous souhaitons voir pour le monde. Quelle chance extraordinaire j’ai eue!
En imaginant l’avenir, tant le mien que celui du CanSFE, un concept me revient constamment en tête : celui de la « différence tout juste perceptible » : ce moment précis où un changement discret devient soudainement évident, où l’évolution silencieuse franchit le seuil de notre conscience. Ce qui compte alors, ce n’est pas tant l’ampleur du changement lui-même, bien le chemin qui l’a rendu inévitable. Dix degrés de plus lorsqu’il fait froid deviennent un signe d’espoir; ces mêmes dix degrés en moins lorsqu’il fait chaud résonnent comme un avertissement.
C’est précisément là où nous en sommes dans notre secteur. Si vous avez l’impression que quelque chose bouge, vous ne vous trompez pas. Vous percevez ce changement parce que nous sommes à ce moment charnière où la direction prise devient enfin visible. Ce qui arrivera par la suite dépendra entièrement de notre façon d’y réagir.
C’est le moment de se rappeler ce que signifie véritablement former une coalition. Pas simplement une organisation, mais un réseau vivant constitué de personnes, de partenaires, d’idées et de possibilités. Le CanSFE a été fondé sur la conviction profonde que nous sommes plus forts lorsque nous travaillons ensemble. Une telle collaboration demande de la confiance, de l’humilité, et surtout la volonté de partager l’espace, même quand c’est complexe, voire difficile. Même lorsque, quelque part au fond de nous, nous avons cessé de croire que les Canadiennes et les Canadiens se soucient réellement de ce qui se passe au-delà de leurs frontières.
Si notre seule réponse est de lancer un nouveau système, une stratégie inédite ou une brillante campagne, alors nous avons déjà perdu. Si nous persistons à organiser les « Jeux olympiques de la souffrance », en comparant nos difficultés respectives et en prétendant qu’il n’existe qu’une seule cause véritablement digne d’intérêt, nous avons perdu aussi.
Bien sûr, voir son enfant mourir de faim en Éthiopie est objectivement plus terrible qu’attendre dans une longue file pour obtenir une nourriture médiocre dans une banque alimentaire du sud de l’Ontario. Oui, un enfant mourant, c’est pire, mais ce type d’argument ne vient en aide ni à la mère qui attend dans cette file ni à celle qui voit son enfant dépérir lentement. (Croyez-moi, je me suis déjà fait huer et chasser de scène pour avoir essayé de le faire.)
Ce n’est qu’en revenant à notre humanité commune, en reconnaissant à la fois la souffrance et les possibilités, et en choisissant d’agir, que nous aurons une chance de réussir.
Notre rôle dans ce secteur doit évoluer : nous devons écouter plus attentivement, inspirer avec optimisme et rassembler tout le monde autour de notre cause. Nous devons unir toutes les personnes qui souffrent, celles qui ont des idées, celles qui ont des histoires à partager, toutes celles que nous pouvons toucher. Ce n’est qu’ensuite, en tant que vaste mouvement humain ancré dans la réalité que nous pourrons décider, ensemble, quel monde merveilleux nous voudrons construire.
Nous gagnons lorsque les deux mères nous disent ce dont elles ont besoin, et que nous trouvons ensuite le moyen de le leur offrir, peu importe les obstacles. C’est dans cet esprit d’action, de persévérance et de petites victoires progressives et indiscutables que les gens prennent conscience du champ des possibles. Ce sentiment d’avoir franchi un cap, d’agir de manière suffisamment différente pour susciter l’enthousiasme, voilà comment se construit un mouvement.
Cet esprit de rapprochement doit également s’étendre à notre façon de collaborer avec les gouvernements. Même si cela ne semble pas toujours évident, les décisionnaires et les gouvernements ne sont que des êtres humains, des personnes dont nous avons besoin en tant qu’alliées. La bureaucratie, les systèmes, les cases à cocher et les contrôles incessants doivent céder la place à la confiance. Il est temps de redonner à la société civile sa juste place, en reconnaissant sa capacité unique à accomplir davantage que les gouvernements et à faire les choses autrement.
Plutôt que de contraindre les OSC à devenir des mini-bureaucraties, il serait préférable de mettre l’accent sur la réduction des obstacles à l’action et des coûts transactionnels liés au transfert des ressources. Nous gaspillons trop de temps et d’argent dans des systèmes fondés sur la méfiance. Il est temps de commencer à tirer parti de nos forces.
Ce travail n’a jamais été qu’un simple travail. Je n’ai pas honte de le dire, c’est devenu un mode de vie, tant pour moi que pour ma famille. J’ai commencé ma carrière dans un bureau d’une seule pièce, où mes deux collègues et moi étions tellement serrées que nous ne pouvions même pas prendre un appel. C’était une petite organisation de développement international, fondée et dirigée par des bénévoles qui avaient l’audace de croire qu’elles allaient changer le monde.
Ma fille, qui avait alors trois ans, m’accompagnait à la plupart des réunions. Aujourd’hui, elle s’apprête à devenir travailleuse sociale dans ma province natale, l’Alberta. Elle va changer le monde, et cette étincelle ne lui est pas venue en me voyant me battre pour peaufiner un cadre logique jusqu’à la perfection. Elle a vu le pouvoir des gens qui s’unissent et prennent soin les uns des autres. Elle nous a entendues débattre, essayer, échouer et réessayer, trouvant toujours une solution.
Nous sommes à un tournant décisif. Les choses changent, et cette prise de conscience nous confronte à un choix. Si je peux vous laisser avec une dernière réflexion, ce sera celle-ci : misez sur l’humanité de notre mouvement, sur les personnes qui en sont au cœur. Ne vous excusez pas pour le problème que vous cherchez à résoudre. Trouvez ce qui nous unit. Invitez les gens à se projeter dans le monde meilleur que nous cherchons à bâtir.
Le travail au sein d’une coalition porte en lui une promesse : vous n’êtes pas seul·e. J’ai apprécié chaque échange, chaque défi, et chaque moment de possibilité partagé avec les membres, le conseil d’administration et l’équipe. Merci pour ces neuf années de collaboration exceptionnelle. J’ai vécu une aventure humaine et professionnelle extraordinaire!
Je resterai toujours l’une de vos alliées,
Julia
Publié:
mai 1, 2025
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