Dans les derniers temps, nous avons toutes et tous été témoins d’attaques sans précédent contre les droits de la personne et du rétrécissement de l’espace civique. Nous comptons parmi les événements les plus alarmants, la mise en péril grave de la santé et des droits sexuels et reproductifs (SDSR) des personnes déjà plus vulnérables. Ce climat mène à une diminution de l’accès à une éducation complète à la sexualité, aux contraceptifs, aux soins d’avortement sécuritaires, aux services de prévention et de gestion des infections transmissibles sexuellement (ITS) et aux soins d’affirmation de genre.
Malgré un manque criant de ressources, les activistes féministes, les organisations locales de défense des droits des femmes et des personnes 2SLGBTQIA+ et d’autres groupes de défense des droits de la personne continuent de jouer un rôle clé dans le changement. Leur influence dans la promotion de l’égalité des genres est vaste, que ce soit pour inciter à des changements dans les normes sociales et les comportements ou à titre de première source de soutien pour les personnes ayant besoin de services d’urgence. La création de partenariats avec des organisations locales, féministes et fondées sur les droits de la personne est une stratégie clé de tout programme sensible au genre ou transformateur en matière d’égalité des genres. Cela est particulièrement vrai si l’on veut renforcer l’accès aux soins de santé et promouvoir la santé et les droits sexuels et reproductifs au moyen de solutions adaptées au contexte et dirigées par la communauté locale.
Cet article de blogue présente une sélection d’approches fondées sur des données probantes et propose une feuille de route pour les bailleurs de fonds et les organisations partenaires axés sur les droits en matière de santé qui sont basés dans le Nord et qui souhaitent collaborer avec des organisations locales de défense des droits.
Placer les organisations de défense des droits des femmes (ODDF) et les organisations dirigées par des jeunes (ODJ) au centre des programmes de santé transformateurs en matière d’égalité des genres
De nombreux programmes de santé qui visent à lutter contre les inégalités entre les genres adoptent une approche socioécologique, en intervenant au niveau de l’individu, de la communauté, des institutions et des politiques. Ces programmes ciblent également un large éventail de parties prenantes afin de trouver des solutions collectives aux causes profondes des inégalités sociales et de genre qui compromettent la santé et les droits des groupes marginalisés. Cette approche implique généralement d’accroître l’agentivité des personnes dont les droits sont concernés, en particulier les filles et les femmes, sur la santé et les enjeux connexes. Elle préconise la sensibilisation des personnes en position de pouvoir, comme les personnes soignantes, les partenaires masculins, les femmes influentes ainsi que les leaders religieux et traditionnels afin d’en faire des agent·e·s de changement. Elle mise également la formation de prestataires de services de santé et de protection ainsi que de décisionnaires politiques en vue d’améliorer la conception et la prestation de services inclusifs, sensibles au genre et aux besoins des adolescent·e·s.
Bien que les initiatives de santé soient souvent mises en œuvre avec des partenaires locaux, ces derniers sont rarement des groupes féministes, des ODDF ou des ODJ. Cela peut s’expliquer par le manque de ressources au sein des ODDF pour se conformer aux mesures de contrôle imposées par les bailleurs de fonds internationaux; la faiblesse des alliances avec les parties qui détiennent le pouvoir, comme les gouvernements locaux; une capacité limitée à gérer de grandes subventions; ou un manque de compétences pour obtenir du financement de bailleurs de fonds internationaux. Par ailleurs, les modalités des partenariats avec les acteurs locaux s’accordent rarement avec les principes féministes de valorisation du développement local, de prise de décision équitable et de partage des capacités et des ressources.
Protéger et promouvoir le développement et les actions dirigés par les ODDF et les ODJ
Au cœur des partenariats féministes se trouve le renforcement de l’agentivité et du pouvoir décisionnel des acteurs locaux, pour qu’ils ne fassent pas que participer à la conception de ces partenariats, mais qu’ils les dirigent également. Les obstacles à l’égalité des genres varient d’une communauté à l’autre et au sein même des communautés; par conséquent, il est essentiel de mettre à profit les perspectives précieuses des ODDF, des ODJ et des autres organisations de la société civile (OSC) si l’on veut mener des changements efficaces, défendables et durables.
Les projets Fondations pour la santé et l’autonomisation (F4HE) et Fondations pour l’éducation et l’autonomisation (F4EE) de la Fondation Aga Khan (AKF) et d’Affaires mondiales Canada incluent tous les deux la composante « Faire progresser l’égalité entre les genres par la société civile (AGECS) ». L’objectif est d’aider les organisations locales à diriger, concevoir et mettre en œuvre des initiatives transformatrices en matière d’égalité des genres qui tiennent compte du contexte et y sont adaptées. Le programme AGECS est un sous-projet de F4EE qui mise sur la collaboration avec les organismes communautaires et une approche dirigée localement pour promouvoir l’égalité des genres et un changement transformateur.
La Déclaration de Kigali sur les maladies tropicales négligées est un autre exemple de cette approche. Il s’agit d’un outil de mobilisation mondial visant à soutenir les objectifs ambitieux de la Feuille de route pour les maladies tropicales négligées 2021-2030 de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Elle reconnaît le pouvoir des jeunes en tant qu’agent·e·s de changement en matière de promotion de la santé et de leadership politique à l’échelle locale, régionale et internationale.
Dans son nouveau document de position Locally-led, globally-connected, Plan international résume cette approche en s’engageant à utiliser et à remettre en question ses privilèges et ses pouvoirs existants de manière à rapprocher la prise de décision et les ressources des lieux d’intervention, notamment par la création de partenariats équitables avec les organisations dirigées par des jeunes et des femmes. Un autre exemple d’initiatives reconnaissant le rôle unique et essentiel des jeunes en tant qu’agent·e·s de changement est le programme Renforcer les partenariats pour favoriser la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes et des adolescentes du Cabo Delgado, au Mozambique (SPARC) d’AKF. Ce projet mobilise des groupes de paires-éducatrices adolescentes dans les écoles et des groupes de mentores adolescentes en dehors des écoles pour améliorer la santé et les droits sexuels et reproductifs, en mettant l’accent sur les services communautaires de planification des naissances et la réduction des grossesses précoces.
Mettre l’accent sur le renforcement des capacités institutionnelles des ODDF et des ODJ
Malgré les avancées considérables en matière de développement local dirigé par des acteurs locaux, des études menées par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) révèlent que de nombreuses ODDF et ODJ n’ont pas les capacités techniques, financières et de gestion pour répondre de manière efficace aux défis sanitaires. Pour combler ces lacunes, les projets de grande envergure en manière de santé peuvent mettre à profit des outils conçus pour renforcer les systèmes organisationnels des ODDF et des ODJ. Cette approche leur donne la capacité de promouvoir la santé et les droits sexuels et reproductifs à l’échelle locale, accroît la sensibilisation en matière de santé et de droits et élargit l’accès aux services de santé sexuelle et aux mesures de soutien psychosocial pour les femmes et les filles.
Le projet ASPIRE de Plan International au Nigéria comporte trois volets : renforcer les systèmes de santé, accroître la capacité des personnes à exercer leurs droits et offrir du financement flexible et du mentorat aux ODDF et ODJ locales pour promouvoir la santé et les droits sexuels et reproductifs des adolescent·e·s et des jeunes. Les ODDF et les ODJ ont d’abord déterminé leurs besoins organisationnels à l’aide d’un outil d’autoévaluation participatif. À partir des résultats de l’évaluation, une initiative complète de partage des capacités a été mise en place, permettant de renforcer les compétences dans des domaines variés allant des stratégies de SDSR tenant compte des genres à la mobilisation de ressources, en passant par les outils de suivi et les contrôles de la conformité. Ce processus a abouti à l’élaboration commune de plus de 120 actions locales fondées sur des données probantes pour améliorer la santé et les droits sexuels et reproductifs des adolescentes et des jeunes femmes.
Un projet axé sur la santé maternelle et infantile mis en œuvre en Éthiopie, au Kenya, au Malawi et en Tanzanie et achevé en 2022 sert également d’exemple. Dans le cadre de ce projet, les bureaux nationaux ont travaillé directement avec les ODDF et les ODJ. La première étape était d’évaluer les besoins systémiques des organisations et de leur apporter du soutien grâce à des formations. Les sujets étaient variés : stratégies de leadership, problèmes techniques, renforcement des systèmes, gouvernance, etc. D’autres projets en matière de santé ont mis l’accent sur le renforcement du travail de mobilisation des jeunes en matière de SDSR au Kenya, ce qui a permis aux jeunes de participer plus activement aux politiques les concernant en lien avec l’égalité des genres et la santé et les droits sexuels et reproductifs. Les ODJ ont également reçu une formation sur la défense des intérêts pour accroître leur capacité à porter ces enjeux et à demander des comptes aux décisionnaires politiques et aux leaders communautaires.
Les exemples ci-dessus montrent que de mobiliser les ODDF et les ODJ locales lors du processus d’évaluation permet de cerner et d’amplifier l’expertise locale. Il s’agit selon l’UNICEF d’une approche fondamentale pour faire progresser les revendications et les actions locales en faveur de politiques, de cadres légaux et de services équitables en matière de santé sexuelle et reproductive.
Créer des possibilités de financement flexible pour les ODDF et les ODJ
Les ODDF, les ODJ et les OSC ont des connaissances et entretiennent des relations cruciales qui leur permettent de répondre plus efficacement aux besoins et aux expériences des participant·e·s. Elles sont ainsi fondamentales à l’amélioration des services et des droits en matière de santé. Cependant, ces organisations n’ont souvent pas assez de financement accessible, flexible et à long terme pour accroître la portée de leur travail.
Il est essentiel de se pencher sur les solutions pour remédier aux barrières systémiques qui excluent les organisations locales de l’accès aux ressources. Dans le cadre de partenariats féministes, l’on reconnaît que les ODDF et les ODJ ne fonctionnent pas en vase clos. Nombre d’entre elles se heurtent à des processus de financement compliqués, assortis de contrôles financiers et de conformité très stricts, qui rendent bien souvent le financement inaccessible.
Cependant, il existe des modèles qui soutiennent les organisations féministes et les ODDF. Par exemple, le programme Voix et leadership des femmes d’AmplifyChange et Affaires mondiales Canada offre des subventions directes aux OSC qui œuvrent à faire progresser les droits de la personne, y compris la santé et les droits sexuels et reproductifs. Par l’entremise du programme AGECS et de son modèle de subvention accessible, l’AKF a soutenu 26 sous-projets dirigés et mis en œuvre par des OSC d’Afrique et d’Asie. Le programme permet le renforcement des capacités dans divers domaines, notamment l’intégration de la dimension de genre, la mobilisation des ressources et la planification de la durabilité. La cocréation est essentielle au partage des connaissances, des ressources et des relations qui permettront aux partenaires locaux d’accéder aux occasions de financement continu de manière autonome et au-delà de la durée de vie du projet. C’est un aspect essentiel non seulement à la conception et à la mise en œuvre des activités du projet, mais aussi à la création d’un cadre durable pour le projet.
Organiser des plateformes internationales et locales pour renforcer la collaboration
Les OSC sont des acteurs clés dans le partage des connaissances, la prestation de services et la sensibilisation dans les communautés, en particulier sur les questions relatives à l’égalité entre les genres et aux soins de santé. Cependant, les occasions de se réunir et d’échanger entre elles sur les défis rencontrés et leurs apprentissages sont limitées. En plus de miser sur le renforcement des capacités des leaders, des institutions et des structures communautaires à répondre aux barrières liées au genre et sociales, le programme AGECS offre aux défenseur·euse·s des droits des femmes et de l’égalité des genres une occasion unique de collaborer à l’échelle régionale et mondiale. En février 2024, plus de 140 activistes pour les droits des femmes et l’égalité des genres et leaders de la société civile représentant 13 pays se sont rassemblé·e·s pour échanger sur leurs expériences, leurs défis et leurs apprentissages. Il est tout aussi important de créer des plateformes d’échange à l’échelle locale si l’on veut donner une impulsion aux initiatives de défense et de promotion des droits de la personne.
Le projet LEAP de Plan International à Cox’s Bazar, au Bangladesh, a soutenu les ODDF et les ODJ locales dans la cocréation de plans d’action pour la protection de la santé. Plusieurs plateformes ont été mises à profit pour d’abord permettre aux ODDF et aux ODJ de former des alliances entre elles, puis pour les aider à obtenir un entretien avec les représentant·e·s de l’administration locale afin de réclamer la prestation de services qui tiennent mieux compte du genre. De cette façon, les besoins de la communauté ont pu être soulevés : organisation de séances d’éducation à la sexualité dans les écoles, mise en place de systèmes d’aiguillage intégrés pour les victimes de violence fondée sur le genre (VFG), aménagement d’espaces adaptés aux adolescent·e·s dans les établissements de santé, etc. Ces démarches exemplifient un contexte où les ODDF et les ODJ peuvent directement exiger des changements et plaider pour une amélioration des droits de santé et de protection.
Dans le domaine de la médecine et de la santé, le mentorat est une stratégie efficace pour partager des compétences et contrer la menace constante d’une prestation antiféministe des soins de santé. La plateforme régionale du programme de mentorat Mwele Malecela (MMM) pour les femmes dans le domaine des maladies tropicales négligées, qui bénéficie d’un financement à long terme jusqu’en 2030, aide les femmes qui vivent et travaillent en Afrique à devenir des leaders dans leur domaine. La plateforme contribue à la création d’une main-d’œuvre diversifiée et compétente en soins de santé qui reconnaît le leadership des femmes tout au long de leur formation et de leur parcours professionnel dans le domaine de la santé, assurant ainsi une représentation des femmes et des filles au sein des systèmes de santé qui les soignent.
En soulignant et en renforçant le travail de la société civile locale dans la promotion de l’égalité des genres et des droits en matière de santé, les organisations montrent leur engagement à soutenir les efforts collectifs en vue d’un avenir inclusif où tout le monde peut s’épanouir ensemble. Dans ces efforts, nous devons nous rappeler qu’ultimement, sans partenariats équitables avec la société civile locale, y compris les ODDF et les ODJ, les résultats que nous visons ne seront ni pertinents, ni optimaux, ni durables.
Appels à l’action
1. Remettre en question et transformer les dynamiques de pouvoir inégales dans les projets et les partenariats en intégrant des principes féministes. Dans un monde où les droits des femmes et des filles sont de plus en plus menacés, les spécialistes du développement international et de la santé mondiale ont le devoir de prendre des risques mesurés pour s’assurer que leur travail contribue à l’égalité entre les genres. Il est essentiel pour notre travail que nous donnions la priorité aux approches participatives fondées sur les droits et tenant compte des besoins et expériences variés des femmes et des filles et que nous amplifiions la voix des groupes en quête d’équité pour favoriser un changement dans les rapports de pouvoir.
2. Créer des conditions de financement et de partenariat favorables au travail de revendication en santé publique et mondiale. Le travail de revendication est essentiel à la réalisation de gains durables dans les soins de santé pour les femmes et les jeunes. Néanmoins, les restrictions relatives à ce travail entravent les efforts importants qui permettent aux femmes et aux jeunes d’interagir avec les gouvernements ayant des obligations à leur égard ainsi qu’avec les plateformes internationales afin de soutenir des politiques et des programmes de santé plus équitables. Les approches de revendication doivent tenir compte du contexte et concorder avec les initiatives locales afin de réduire les inégalités en matière de santé. Les stratégies de mobilisation en faveur de la santé demandent également un financement adéquat et du soutien technique pour assurer la sécurité et la protection légale des activistes dans un environnement qui leur est souvent hostile. Dans le cadre de son engagement de dix ans en matière de santé et de droits dans le monde, le Canada reconnaît et met en lumière le rôle essentiel du travail de revendication dans la prestation des soins. Cependant, il reste des efforts à faire pour travailler plus directement avec les ODDF et les ODJ sur les actions de revendication à la base d’un changement durable en santé mondiale.
3. Créer du financement accessible, flexible et à long terme pour permettre aux organisations de s’adapter aux contextes locaux en rapide évolution, de saisir les occasions émergentes et de répondre aux défis inattendus. Un financement de base et flexible donne aux organisations la liberté de diriger les ressources là où le besoin se fait le plus sentir et leur permet d’innover et de croître, de modifier leurs priorités en fonction des conditions changeantes et de pérenniser la portée de leur travail. De plus, la simplification des processus de demande permet de réduire le fardeau administratif des petites organisations locales dont les ressources et le personnel sont limités. Les bailleurs de fonds peuvent favoriser l’inclusivité en simplifiant leurs exigences pour permettre à une plus grande diversité d’organisations de présenter une demande. Cette mesure permet non seulement d’élargir l’éventail de solutions pour répondre aux défis locaux, mais aussi d’accroître la portée des actions et de renforcer le pouvoir des groupes sous-représentés. Par ailleurs, cela assure davantage de possibilités pour les ODDF et les ODJ de contribuer de manière durable au respect du droit à la santé de leur communauté.
Publié:
octobre 2, 2024
Auteur:
Jennifer Elms, Aga Khan Foundation Canada and USA, Melina Kalamandeen, Consultant, Tina Lines, Canadian Network for Neglected Tropical Diseases and Ajita Vidyarthi, Plan International Canada.
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